Juil 042019
 

Le 4 juillet 2019, la Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la pix a adressé l’appel ci-dessous à Emmanuel Macron, président de la République pour que, comme lui en donne le droit l’article 10 de la Constitution, il ne promulgue pas la loi Petit votée au Sénat le 2 juillet et pour qu’il demande une nouvelle délibération du Parlement afin d’arriver à un texte qui abolisse les châtiments corporels dans l’éducation familiale, ce que ne ne fait pas le texte actuel de la loi Petit.

A M. Emmanuel MACRON
Palais de l'Elysée
55 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris

Paris, le 4 juillet 2019

Monsieur le Président,

Le Sénat a adopté hier, 2 juillet la proposition de loi portée par Mme Maud Petit, députée, contre les « violences éducatives ordinaires », dans les mêmes termes que ceux du texte adopté à l’Assemblée nationale en novembre dernier. Cette loi va vous être adressée pour promulgation.

Nous souhaitons attirer votre attention sur le fait que cette loi qui inscrit dans le Code civil que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques et psychologiques » (art. 1), ne permet pas, à nos yeux, d’interdire les châtiments corporels dans l’éducation familiale en France.

Depuis 2009, nous demandons le vote d’une loi claire et explicite pour interdire en France les punitions et châtiments corporels et les humiliations dans l’éducation familiale. Nous avons déposé une recommandation à ce sujet auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU lors de la 3e Evaluation périodique universelle de la France par ce conseil en janvier 2018. Notre recommandation a été reprise par six pays et le Haut-commissaire de l’ONU.

Pourquoi cette loi n’interdit pas les châtiments corporels ?

Or, à notre avis, ce texte n’abolit pas les châtiments corporels dans l’éducation pour les raisons suivantes :

  • il ne fait que transcrire dans le Code civil ce qui figure déjà dans le Code pénal. Si vraiment cette nouvelle loi abolissait les châtiments corporels, on aurait dû considérer qu’ils étaient déjà abolis par le Code pénal que cette loi ne fait que reprendre. En effet, l’article 222-13 du code pénal stipule que « les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises : 1° Sur un mineur de quinze ans » et elle précise même que « les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque l’infraction définie au premier alinéa du présent article est commise : a) Sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur ». Donc il est bien clair, dans le Code pénal, que l’autorité parentale doit s’exercer sans violence. Le redire dans le Code civil ne change rien à la situation juridique.
  • les juges français ne considèrent pas les punitions et châtiments corporels comme des violences. Ils considèrent en effet que les punitions corporelles partie du droit de correction que la tradition et la jurisprudence reconnaissent aux parents ou à celles et ceux qui exercent l’autorité parentale. De nombreux jugements et même des arrêts de la Cour de cassation vont dans ce sens. Donc interdire les violences faites aux enfants comme c’est le cas aujourd’hui avec l’article 222-13 du Code pénal n’a pas permis d’interdire ces châtiments corporels. Les interdire dans le Code civil, comme ce sera le cas demain, du fait de cette loi, ne permettra toujours pas d’interdire les châtiments corporels.
  • Cette loi ne mentionne nulle part les châtiments corporels. Le rapport préparatoire de la commission du Sénat affirme que, dans l’article n°1 de la loi, « la référence aux violences physiques et psychologiques permet de couvrir les châtiments corporels et les humiliations. » Mais c’est justement ce dont ne veulent pas les instances internationales, qui exigent leur interdiction explicite dans le texte de loi. Ainsi, en septembre 2014, le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) du Conseil de l’Europe avait rendu une décision condamnant la France pour violation de la Charte sociale européenne au motif que « ni la jurisprudence ni le droit français ne prévoyaient une interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels, en violation de l’article 17 de la Charte (Droit de la mère et de l’enfant à une protection sociale et économique) ». La décision de 2014 faisait suite à une réclamation collective déposée auprès du Conseil de l’Europe en février 2013 en raison de « l’absence d’interdiction explicite et efficace de tous les châtiments corporels envers les enfants en milieu familial, scolaire et autre ». C’est aussi la raison pour laquelle M. Zeid Ra’ad ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, dans sa lettre du 7 août 2018, qui présente la liste des recommandations adressées à la France à la suite de cette 3e EPU, demande au gouvernement français au nom de l’ONU de faire « adopter une disposition législative interdisant explicitement toutes les formes de châtiments corporels des enfants » (§ D – Droits de personnes ou de groupes spécifiques – § Enfants, p. 4).
  • La loi n’interdit pas non plus explicitement les « violences éducatives ordinaires ». Il est seulement question de ces dernières à propos d’une formation sur ce sujet qui sera désormais donnée aux assistantes maternelles (art. n°2). La loi prévoit par ailleurs qu’un rapport sera remis au Parlement par le gouvernement sur les « violences éducatives » avant le 1er septembre 2019 (art. 3).

La nécessité d’une loi explicite

Cette loi votée par le Sénat le 2 juillet 2019 ne remplit donc aucun des critères reconnus internationalement et permettant d’interdire les châtiments corporels et les humiliations dans l’éducation familiale.

C’est pourquoi, face à la situation préoccupante que crée l’adoption de cette loi imparfaite, nous vous appelons à ne pas la promulguer et à demander au Parlement un nouvel examen du texte pour permettre qu’il soit amendé pour rendre claire, explicite et complète l’interdiction des punitions, châtiments corporels et des humiliations. La France ne peut pas se satisfaire de demi-mesures, de flou et d’ambiguïté quand il s’agit de la protection et du bien-être de ses enfants. Il faut leur garantir une éducation non-violente par un texte solide.

En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien porter à notre demande, je vous prie, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de mes sentiments respectueux.                                                                                                                 

Christian Renoux

Président de la Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la paix

Amender la loi Petit au plus vite